En 2004, la France a tranché : la coupe des oreilles des chiens, interdite, devait appartenir au passé. Pourtant, dans les allées feutrées de certains concours, des dobermanns venus d’ailleurs continuent d’afficher leurs oreilles dressées, héritage d’un autre temps. L’Allemagne, berceau de la race, refuse désormais cette pratique, tandis qu’outre-Atlantique, elle reste autorisée. Le Collège européen des vétérinaires pour le bien-être animal la dénonce, mais certains éleveurs persistent à la défendre, au nom d’un standard racé. Le débat, loin de s’éteindre, s’enflamme à chaque nouvelle génération de chiots.
La coupe des oreilles chez le dobermann : d’où vient cette tradition ?
L’otectomie, intervention chirurgicale qui consiste à raccourcir les oreilles d’un chien, ne date pas d’hier. Cette pratique, loin d’être l’apanage du dobermann, s’est retrouvée dans l’histoire de nombreuses races.
Parmi les chiens concernés, on retrouve le boxer, beauceron, berger des Pyrénées, briard, bouvier des Flandres, pitbull, dogue allemand, schnauzer, pinscher, american staffordshire terrier ou encore le cane corso. Tous ont, à un moment, vécu avec cette intervention imposée.
À l’origine, le geste se voulait pragmatique. Il s’agissait avant tout de protéger les chiens de travail, de garde ou de chasse contre les blessures et les déchirures lors de combats ou d’affrontements. Les militaires et les éleveurs y voyaient un moyen de réduire les risques d’arrachement ou d’infection, notamment dans des contextes où le chien était exposé à la violence ou au danger.
Mais la dimension utilitaire a glissé, au fil du temps, vers une obsession esthétique. Le dobermann naturel porte des oreilles longues et souples. Pourtant, l’imaginaire collectif, nourri par la culture populaire et les standards d’exposition, réclame la fameuse silhouette aux oreilles dressées, symbole d’élégance et de puissance. Cette image s’est imposée au point de redéfinir la perception même de la race.
Pour mieux comprendre l’évolution de cette coutume, voici deux faits marquants :
- L’otectomie n’est plus justifiée par des raisons médicales, selon le consensus vétérinaire actuel.
- Autrefois, elle était la norme chez les chiots destinés à une carrière de chien de travail ou de garde.
Le débat moderne ne se résume donc pas à une simple opposition entre tradition et modernité. Il révèle la tension entre héritage utilitaire, pression du visuel et nouvelles exigences autour de la santé et du respect de l’animal.
Pourquoi cette pratique divise-t-elle autant les passionnés et les défenseurs du bien-être animal ?
La controverse sur l’otectomie chez le dobermann dresse deux camps face à face. D’un côté, les partisans du standard historique, pour qui la coupe incarne la tradition et l’identité de la race. De l’autre, les vétérinaires et militants du bien-être animal, qui dénoncent une intervention douloureuse, sans justification médicale.
Pour ceux qui défendent la coupe, il s’agit de préserver l’image du dobermann tel qu’on l’attend dans les concours ou sur les affiches. À l’inverse, le monde vétérinaire rappelle que l’acte cause une atteinte à l’intégrité physique de l’animal, considérée comme une forme de maltraitance.
Les conséquences ne sont pas de simples détails techniques :
- La proposition du député Jean-Jacques Candelier pour réintroduire la pratique a été rejetée à l’Assemblée nationale.
- Tout propriétaire qui brave l’interdiction s’expose à des sanctions juridiques réelles.
La souffrance animale, le stress, le risque d’infection, mais aussi les perturbations dans la communication entre chiens, car les oreilles sont un outil de socialisation, viennent s’ajouter au dossier. Les vétérinaires comme Thierry Bedossa insistent : aucune étude ne prouve que la coupe protège contre les otites. Face à l’argument du style, la science et la loi rappellent que l’otectomie reste une mutilation.
Entre souffrance animale et esthétique : ce que révèlent les études et les témoignages
La souffrance animale n’est plus une abstraction. Les études scientifiques ont mis en lumière la réalité de l’otectomie : une intervention sur le cartilage qui expose à des complications sérieuses. Douleur intense, stress post-opératoire, infections, voire risques d’atteinte au nerf vague pouvant aller jusqu’à l’arrêt cardiaque si le geste dérape. L’anesthésie ne suffit pas à effacer la douleur après l’opération.
Les vétérinaires, soutenus par l’Ordre national, sont catégoriques : la prévention des otites avancée par certains éleveurs ne repose sur aucun argument scientifique solide.
Dans la pratique, des éleveurs comme Hervé Blosch constatent que la législation n’a pas bouleversé le marché du dobermann en France. Mais pour les chiens porteurs d’otectomie, le couperet est tombé : ils sont désormais exclus des concours canins, des expositions et du LOF. Les standards officiels privilégient l’intégrité corporelle, redéfinissant les critères d’admission.
Le fossé reste profond entre les inconditionnels de la silhouette racée et ceux qui refusent tout compromis avec la souffrance. Les études les plus récentes ne laissent guère de doute : la douleur provoquée par la coupe l’emporte largement sur les justifications historiques. Le mouvement pour les droits des animaux gagne du terrain, reléguant peu à peu cette pratique à une époque révolue.
L’évolution de la législation et des mentalités en France et à l’international
En France, la loi s’est durcie : depuis 2004, la coupe des oreilles est interdite, sauf impératif médical. Le décret 2008-871 du 28 août 2008 a renforcé cette interdiction, en cohérence avec la Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie. Les vétérinaires, encadrés par le Conseil national et la Société centrale canine (SCC), refusent désormais de pratiquer l’otectomie pour des raisons purement esthétiques. Ceux qui passent outre s’exposent à des poursuites.
La caudectomie, coupe de la queue, demeure permise dans certains cas, mais la réglementation reste ambiguë. Marc Veilly, du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires, pointe la marge d’interprétation dont profitent quelques éleveurs, parfois dès la naissance des chiots. D’un département à l’autre, l’application varie.
Le panorama mondial reste contrasté. Tandis que la Suisse, la Belgique et l’Angleterre ont adopté des interdictions similaires à la France, la Russie et les États-Unis autorisent encore la coupe des oreilles pour l’esthétique, sous la pression de certains clubs et traditions canines. Ce clivage souligne combien les représentations culturelles résistent au changement.
Pour clarifier les différences selon les pays, voici quelques exemples :
- France, Suisse, Belgique, Angleterre : interdiction stricte (hors motif médical reconnu)
- États-Unis, Russie : autorisation pour des raisons esthétiques
Petit à petit, la norme se déplace : la figure du dobermann aux oreilles coupées recule devant la montée de l’intégrité physique comme nouveau standard. Les expositions et le LOF exigent des critères pointus, bannissant la mutilation. Un mouvement de fond, impulsé par la protection animale, qui redessine la silhouette des chiens et, plus largement, notre rapport à leur bien-être. La génération suivante de dobermanns ne sera plus celle de l’otectomie : elle sera celle du respect retrouvé.


